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  • AutorenbildMyriam Blal

Il était une fois… Shalimar

Un nom inscrit avec élégance sur un flacon d'or.


Un trait fin et léger couleur bleu profond qui vient insolemment rejoindre les courbes généreuses d'un bouchon de la même couleur. Sous le turban bleu roi, une fontaine de jouvence émet des effluves citronnées. Le liquide est aussi jaune que le soleil d'Orient et le parfum qui s'en dégage nous emporte sur les vastes étendues du Nord de l'Inde.


Shalimar… La chaleur est insoutenable, les ouvriers suent sous le poids de leur charge. Nous voilà de retour, il y a près de quatre siècles, en plein cœur de l'empire Moghol, perçu comme le plus vaste et riche des empires. Des dizaines de milliers de travailleurs transportent des blocs de marbre blanc directement extraits du Rajasthan.


Il y a foule sur cette terre piétinée par les meutes d'éléphants domestiqués. On y construit l'une des futures sept merveilles du monde: Le Taj Mahal.


Sur les bords de la rivière Yamuna à Agra, la construction ne fait que débuter. Les matériaux précieux sont importés de toutes parts, toute la région est mobilisée par ce rêve fabuleux du Shah Jahan. Le jaspe, la turquoise, la malachite, les saphirs, la cornaline, l'onyx arrivent des quatre coins de l'Orient; du Panjab au Yémen en passant par l'Himalaya et le Sri Lanka. Près d'une trentaine de types de pierres précieuses sont utilisées pour les motifs et les reliefs qui parsèment les parois du monument.


Des bruits courent selon lesquels les mains et les doigts de certains travailleurs minutieux auraient été tranchés pour que plus jamais ne puisse être reproduit une telle précision dans le détail, même le plus infime. Rien n'est laissé au hasard dans la construction de ce tombeau grandiose érigé en l'honneur d'un amour perdu. Alors qu'il pleure encore la perte de sa favorite, le Shah lui fait construire un tombeau à la hauteur de leur histoire et aussi pur que leur amour. Il lui faudra près de vingt ans, une main d'œuvre venue de tout l'empire et le doigté des meilleurs artisans pour terminer la construction du Taj Mahal.


Mumtaz Mahal, la favorite… On raconte qu'un tombeau noir identique à celui de sa bien-aimée aurait dû être construit sur l'autre rive pour la dépouille du Shah inconsolable. Les deux Taj Mahal auraient ensuite été reliés par un pont dans le but de réunir les amants pour l'éternité. Mais, le Shah Jahan fut renversé par son propre fils qui le condamna à finir ses jours enfermé dans une pièce qui, ironie du sort, donnait sur son chef d’œuvre.


Shalimar… C'est le nom qu'on donna aux jardins que le Shah fit construire à Lahore. Jardins des délices qui lui furent inspirés par sa défunte épouse. Un temple luxuriant qui garderait à jamais le secret de leur histoire, comme un symbole vivant de leur amour. Trois terrasses de plaisir, de bonté et de vie cachant une multitude de pavillons, de bains et fontaines. La végétation y était abondante et des effluves d'orange, de jasmin, d'amande, de mangue et de rose venaient caresser les narines des visiteurs qui s'y aventuraient. Le clapotis des quatre cent fontaines battait de leur rythme régulier, doux et lent, envoûtant de sa musique toutes les créatures du jardin.


Il était une fois Shalimar…Cette histoire, tels les contes de milles et une nuits, nous transporte au cœur de l'Orient et nous charme par son caractère éternel.


Jasmin et rose laissent leur place à l'encens… Une tige parfumée se consume sur un vieux meuble d'apothicaire. Près de la fenêtre, un bouquet d'iris a été déposé par la femme de chambre en début de matinée. L'avenue des Champs-Élysée s'éveille, les bruits du matin se multiplient. Ici, on entend le son de talons féminins martelant le trottoir. Là, c'est la sonnette qui vibre annonçant l'arrivée du postier. Un petit colis vient d'arriver pour Monsieur Jacques Guerlain.


Entre les odeurs d'encens et de fleurs d'iris, vient s'ajouter une pointe de vanille. Le parfumeur défait ardemment le nœud qui le sépare de sa nouvelle acquisition: la vanilline ou vanille de synthèse.


Nous sommes en 1925, la maison Guerlain existe depuis plus d'une soixantaine d'années et a déjà largement fait ses preuves. Le parfumeur cogite un moment sur l'utilisation à faire de cette nouvelle note.


Alors que l'encens voit ses dernières braises se consumer, J. Guerlain ose verser quelques gouttes du précieux liquide dans “Jicky” qu’il avait créé quelques années auparavant. La fragrance qui s'en dégage le fait instantanément voyager dans des contrées très lointaines et quasi oubliées.


“Shalimar”…le premier parfum, “oriental”. Le succès est fulgurant et impressionne les plus grands nez, Ernest Beaux dira: “Si j'avais utilisé autant de vanille, j'aurais juste été capable de faire un sorbet ou une crème anglaise, alors que lui en fit un chef d'œuvre, Shalimar ! »


La fragrance enivre autant qu'elle marque. Elle commence par marquer votre peau pour n'en être plus que le seul et unique apparat. Jacques Guerlain dira de sa création que « porter Shalimar, c'est laisser ses sens prendre le pouvoir. Charnel, exotique, voluptueux et sensuel… Exprimant le désir et l'envoûtement et illustrant à merveille cet élément secret et mystérieux qui rend les parfums Guerlain inimitables.


Dès la première effluve apparaît au loin une brume capiteuse d'un bleu profond aux courbes sinueuses, une brise citronnée vient alors la balayer quelque peu pour laisser entrevoir une silhouette féminine qui s’enroule avec grâce et provocation dans des draps de soie. De sa main, elle verse langoureusement quelques gouttes parfumées sur sa peau nue. Son regard est perçant, séduisant et sa nudité assumée.


Mais le flacon se referme, la réalité nous rattrape. Le mirage a disparu et tout paraît n'être plus qu’un songe aux odeurs venues de loin.


Pourtant, un refrain résonne quelque part encore: Elle ne portait rien d'autre que quelques gouttes de "Shalimar”…

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