La question peut sembler évidente, mais elle m'a profondément troublée lors de ma participation au lancement d'Afroswisster, un réseau visant à empower les femmes de descendance africaine en Suisse. Je me suis alors interrogée sur la légitimité de ma présence en cet endroit.
Vous voyez, ce n'est peut-être pas immédiatement évident lorsque l'on me rencontre, mais je porte en moi une partie de l'héritage africain. Je suis à moitié suisse (suisse-allemande, pour être précise) et à moitié tunisienne. Genève est ma ville natale, Zurich, ma ville d'adoption dirons-nous et pendant longtemps, je me suis identifiée en tant que Genevoise, étant quelque peu dans le déni en partie de mon héritage africain.
Parfois, j'ai l'impression d'avoir laissé mes origines s'effacer dans l'ombre, du fait de n'avoir jamais vécu en Tunisie et de ne pas en parler la langue.
Il y a quinze ans, j'écrivais un article sur le fait que j'en avais marre de devoir justifier ma swissness et que ce n'était pas parce que je ne ressemblais pas à Heidi qu'il était normal de remettre perpétuellement en question mes origines suisses. À force de vouloir être considérée comme Suisse à part entière, j'en ai oublié mes propres nuances.
En suivant le parcours de Tallulah Patricia Bär ces dernières années, j'ai ressenti le besoin de reconnecter avec cette partie de moi-même. J'avais envie de renouer avec ce continent originel. J'ai donc commencé à participer aux événements que mon amie organise, et même si quelque chose me disait que j'étais à ma place, je ne me sentais pas réellement vue comme appartenant au groupe.
J'ai donc été confrontée à une question cruciale : ai-je la légitimité de faire partie d'un réseau de descendance africaine, même si je ne le suis qu'à moitié et que je ne suis pas forcément perçue comme telle ? Ai-je le droit de revendiquer cette identité alors que je suis si loin de ses racines ? Le questionnement sur ce que signifie être noire s'est alors intensifié. J'ai partagé mes interrogations lors de l'événement, et les réponses que j'ai reçues étaient diverses. Certains m'ont dit : "C'est quand tu décides d'être noire" ou "C'est si tu te sens noire". Ces réponses inclusives et bienveillantes, ainsi que reconnaissant le droit de choisir son identité certes, mais des réponses qui me mettaient aussi mal à l'aise parce qu'elles pouvaient également nier une réalité, celle que je ne suis pas perçue comme noire dans la société, et donc que je ne porte pas le poids des discriminations que la couleur de peau peut engendrer.
Cette ambivalence entre mon identité personnelle et la manière dont la société me perçoit soulève des interrogations plus profondes sur l'identité en général. Est-ce qu'être noire se résume uniquement à une auto-identification ? Ou est-ce que notre identité est finalement définie par le regard que l'autre porte sur nous ? Et si c'est le cas, comment trouver un équilibre entre nos propres convictions et les perceptions extérieures ?
Aujourd'hui, reconnaître mes racines africaines et revendiquer cette partie de mon identité est essentiel pour moi. Mon grand-père était noir, il a épousé une femme d'origine berbère. Mon père est tunisien avec toute la richesse et la diversité de ce pays. Ma mère est suisse-allemande vivant en Suisse romande. Et moi, je suis tout ça à la fois et bien plus encore, parce qu'à mon tour, je suis passée au-dessus du Röstigraben et j'ai également voyagé dans près de 49 pays dans le monde. Mon identité ne se résume pas seulement à celles de mes ancêtres, mais elle s'enrichie de tout mon parcours de vie.
Je suis actuellement en Tunisie, après presque 10 ans loin d'elle, je la retrouve enfin. Je reconnecte avec sa terre, sa langue, sa gastronomie, son histoire et sa culture. Je ne rattraperai pas cette dernière décennie, mais je ne veux plus oublier d'où je viens. J'essaie donc d'apprendre un maximum, je me suis même mise à apprendre le tunisien. J'ai eu besoin de voir le monde avant de revenir explorer mon monde à moi. Souvent, on part loin, afin d'apprécier ce qui est proche de soi. Et pour ma part, ça a été un parcours nécessaire.
En conclusion, c'est en embrassant pleinement mon histoire et ma diversité que je m'épanouis réellement comme l'individu complexe et multi-facette que nous sommes tous finalement.
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