Rappelez-vous, en 2007, les CFF lançaient une campagne de marketing touristique qui “exotisait” les cantons suisses. La Suisse orientale prenait des airs de “région du Levant”. Le Tessin était présenté comme une forêt vierge à découvrir. Et les Valaisans apparaissaient en tant que “peuple rude” et “authentique”.
Une image qui avait fait grand bruit à l’époque et qui rappelle bien que “l’Ailleurs” fait surtout référence à une distance symbolique et non géographique.
Quand la montagne devient exotique…
Même si c’est un monde relativement proche du «nôtre», il reste néanmoins un territoire de différences. Avec le phénomène d’exode rurale, les populations ont migré de la montagne, des campagnes vers les villes et les agglomérations, laissant derrière eux un «ailleurs» «rural, traditionnel et authentique ».
L’univers de la montagne a donc été construit par les populations urbaines comme un imaginaire lointain aussi bien géographiquement parlant que d’un point de vue temporel. En effet, les montagnes et leur population sont souvent perçues comme un monde sur lequel le temps n’a pas d’emprise. Un endroit mystérieux, étrange, où la Nature fait sa loi.
Vêtus de peaux de bêtes et affublés de masques du Carnaval du Valais dévalant une pente enneigée des fourches à la main, les hommes sur l’affiche des CFF en sont une parfaite illustration.
Là haut, sur la montagne…
La montagne peut paraître un sujet évident, pourtant elle pose des problèmes de définition et de représentation. On constate tout de même une récurrence à percevoir la montagne comme un « ailleurs », une altérité. Elle est le lieu de contraste topographique entre les plaines et les hauts sommets. A ce sujet géographique, sont venu se greffer un certain nombre d’images qui créent cet imaginaire de la montagne.
Par exemple, la vision religieuse présente les montagnes comme une localisation de puissances divines. Un lieu de révélations comme dans le cas de Moïse dans la Bible ou un lieu de Paradis. L’homme primitif y voyait également un lien entre la Terre et le ciel.
C’est aussi un monde sauvage et mystérieux. La montagne peut être vu comme un endroit hostile, dangereux où se cachent des monstres comme le Yeti au Tibet. C’est non seulement un conservatoire naturel qui regorge de trésors de la nature, mais qui abrite également des créatures des plus effrayantes.
On attribue à la montagne également des vertus curatives et un air frais bénéfique pour la santé. Une idée passablement transmise dans le roman de Heidi de Johanna Spyri de 1880, qui mets en avant les vertus du bon air des Alpes. En effet, la jeune amie d’Heidi, Clara, qui vient de la ville, se trouve finalement guéri par l’air des montagnes qui lui permet de se lever de son fauteuil roulant dans lequel elle avait passé plusieurs années.
L’imaginaire des montagnes se construit donc sur cette dichotomie sauvage/pur. C’est un endroit où l’eau minérale côtoie la dureté de la roche escarpée. L’Enfer se combine au Paradis. Les sommets enneigés contraste avec la couleur foncé de la pierre.
Un monde sauvage, de dangers, de tentations, de solitude et de communion divine. La montagne qui s’oppose à la ville, comme un monde social et politique.
La montagne, comme les Ailleurs lointains, est un paysage sauvage que l’Homme a d’abord craint, puis conquis et finalement domestiqué.
Le «montagnard»
Dans la continuation de la construction de l’imaginaire de la montagne, c’est également fait celle du « montagnard », l’habitant de cette montagne sauvage et pure à la fois. On voit se répéter, ici, le déterminisme environnemental vu dans la partie sur l’exotisme. C’est un phénomène qui veut instaurer une cohérence entre les caractéristiques de l’espace, le paysage et les hommes. Buffon, par exemple, observe, en 1778, les populations des montagnes de Madagascar. Il les décrit comme blancs, petits et souligne une tendance au nanisme chez les populations qui vivent en altitude et à des températures basses. Le montagnard est vu comme proche de la nature, résistant, sain, économe et besogneux. Des caractéristiques parfois positives, mais souvent méprisantes. Car il représente la tradition et l’aspect encore archaïque de la société. Le montagnard est un explorateur, il est fort, costaud et un peu rude. En marge de ces caractéristiques plutôt valorisantes, il y a également les «crétins des Alpes», qui étaient souvent qualifié d’ivrognes.
Dans cette imagerie du «montagnard», on peut voir en filigrane se dessiner le mythe du «bon sauvage». Un être pur, innocent, proche de la nature. Cette dichotomie entre la pureté et la sauvagerie, peut probablement se retrouver dans le rôle «genré» attribué à l’homme et à la femme dans l’imagerie populaire. La «montagnarde», comme Heidi, par exemple, est souriante, joyeuse, pure et innocente. Alors que le «montagnard», comme son grand-père, représente plutôt le côté « brut » de la montagne.
Peut-on parler « d’exotisme montagnard » ?
Comme vu précédemment, on peut parler d’exotisme quand il y a construction géographique de l’altérité et valorisation de cette dernière.
Dans le cas de la montagne, on constate déjà une création d’altérité entre Nous, les habitants de la Ville, du monde urbain, civilisé, politique et social et Eux, habitants de la Montagne, sauvage, proche de la nature et innocent. Ensuite, comme on l’a vu plus haut, on assiste à du déterminisme environnemental. On applique les caractéristiques topographiques aux populations habitant le territoire. Puis, cette hiérarchie qui existe dans l’exotisme classique se retrouve dans la vision de habitants des villes sur ceux de la montagne. Ils les perçoivent comme sauvages, rudes et innocents, alors qu’ils se sentent civilisés et instruits par rapport à eux.
Après vient la valorisation de cette altérité, en cette époque de modernité, les vertus du grand air, de l’éco-tourisme et du pittoresque reviennent au goût du jour. Déjà avec Heidi, le bon air des montagnes était mis en avant. De plus, le côté traditionnel, «vrai» et authentique du paysage et de la population est également mis en avant dans les campagnes touristiques. Au-delà du voyage dans l’espace, on assiste aussi à un voyage dans le temps. En effet, le village archaïque des montagnes renvoie à une Suisse d’antan, avant les technologies et la modernité.
Après ne s’être tout d’abord pas reconnu dans l’image que l’on brossait des «montagnards», les populations des montagnes se sont réapproprier les signes de stigmatisation et ont revendiquer leur statut de «montagnard». Dans les pratiques touristique, on constate également une mise en scène de la montagne. Que ce soit dans les jardins botaniques, les randonnées, les agences de voyage ou les stations de ski, les caractéristiques dites «montagnardes» sont reprises et utilisées pour promouvoir l’aspect authentique et sauvage de la région.
On peut alors parler d’exotisme montagnard, car même si le lointain l’est moins de manière matérielle, la distance symbolique reste présente et leur enchevêtrement aussi. De plus, les rapports entre sujets et objets restent asymétriques. Et après avoir construit l’Autre, le « montagnard » et ses montagnes sont ensuite considéré comme charmant et pittoresque. Au point d’être, décontextualisé et recontextualisé dans la norme urbaine occidentale dans le cadre de villages suisse, par exemple, dans les Expositions Universelles, les parcs d’attractions, les jardins botaniques, etc.
On remarque un phénomène inverse à celui de la « Vénus Hottentote » avec les reproductions de chalets ou de pistes de ski au beau milieu du désert de Dubaï. En effet, l’objet a été transporté dans un contexte « exotique » pour Nous, mais la piste de ski est un objet exotique pour les populations locales. Sans pour autant parler d’exotisme inversé, ce phénomène d’exotisation d’objet occidental ouvre quelques pistes sur les futurs application de l’exotisme avec, entre autre, l’émergence de pays comme le Japon, la Chine, etc. qui prennent de plus en plus d’ampleur dans le monde occidental.
Et oui, les Alpes aussi ont un potentiel exotique, tout dépend d’où on se place.
-.-
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