Bruxelles: 8 - 14 juillet
Sur les toits de Bruxelles, avec une hôtesse française et une compagnie argentino-péruvienne, sirotant une bière belge sur de la musique latine, je m'interroge. En voyant le soleil se coucher derrière les immeubles, je repense aux deux africaines dans le métro qui pestaient contre les chansons espagnoles du guitariste de rue pendant que je souriais à une femme voilée dans le wagon d'en face. À la sortie de la bouche de métro, je manque de trébucher sur le corps inanimé d'un occidental que chacun enjambe sans plus de ménagement.
Dans la capitale de l'Europe, face à une réalité haute en mixité, je me demande ce qu'on essaie au juste de bloquer avec cette terreur sécuritaire? Peut-être simplement, la continuité d'une machine lancée à toute vitesse qu'on appelle le progrès…
La migration, un vaste sujet qui est souvent réduit à l'immigration en Occident en partant du postulat eurocentré que tout le monde veut venir “chez nous”.
Mais, moi, j'ai voyagé au quatre coins du monde et je peux vous dire que j'en ai rencontré à tour de bras des occidentaux immigrés pour des durées indéterminées dans des coins de paradis perdus. Eux, ils ont simplement le droit à un plus joli nom: “les expatriés”. Pas d'angoisse à la douane, pas de situation de précarité, pas de peur du renvoi, juste une envie de voyage, “d'exotisme” et le “bon” passeport.
Peu sont les pays qu'on entendra se plaindre d'être envahis par les occidentaux avec leur mal-bouffe et leur fixette sur l'alcool, les drogues et le sexe. Non, parce que “nous”, on a le droit d'envahir “les autres”. “Nous”, on l'a déjà fait et on se prive toujours pas.
Les adultes occidentaux qui font fleurir le business de la prostitution en Asie, en Afrique et en Amérique latine, ça gêne pas M.Tout-le-monde.
Les étudiants occidentaux qui “vole” le travail des locaux dans les fermes australiennes et néo-zélandaises, non plus.
Les altermondialistes occidentaux qui vont se la couler douce sur les plages paradisiaques et qui travaillent si le coeur leur en dit sans apporter aucune valeur-ajoutée à leur pays d'accueil, ça ne l'intéresse même pas.
Pour ceux qui n'ont pas été présenté, M. Tout-le-monde, c'est un bel homme blanc occidental sportif avec un bon travail à tendance plutôt chrétienne et conservatrice avec un sérieux problème d'égocentrisme.
Les frontières sont des constructions sociales et historiques au même titre que le genre, les continents et les moeurs. Certaines ont été tracées à la règle et d'autres à coup de guerre, mais aujourd'hui on les considère comme légitimes et immuables. Les normes évoluent avec la société. Ce qui était un empire greco-romain est devenu une Union Européenne. Les frontières délimitent des régions culturelles, linguistiques ou institutionnelles, mais l'Histoire nous a appris qu'elles n'ont rien de naturelles.
Et puis, la peur et l'ignorance sont des amies de très mauvais conseil. Comme à l'école primaire, elles racontent des semi-vérités bourrées d'aprioris sur tout le monde et elles essaient de monter chacun contre l'autre.
Elles nous ont déjà souvent fait le coup tout au long de l'Histoire. D'ailleurs, le film “Belle” de Amma Asante m'a rappelé un de leurs nombreux méfaits.
« La situation d'esclave est d'une telle nature qu'elle n'a pu être instituée pour aucune raison morale ou politique, mais uniquement par une loi promulguée, qui reste en vigueur longtemps après que la raison, l'occasion, et les circonstances même où elle a été créée ont disparu de la mémoire. Cette situation est si odieuse que rien ne peut être invoqué pour la soutenir, sinon la loi. Quels que soient les inconvénients qui pourront être la conséquence de ma décision, il m'est impossible de dire que cette situation est permise ou approuvée par la loi de l'Angleterre, et donc ce Noir doit être considéré comme libre.» Lord Mansfield, 1772 dans l'affaire Somersett.
Remplacez “esclave” et “Noir” par “sans papier” et “immigré illégalisé” et vous avez un point de vue tout à fait actuel.
D'ailleurs, je réalise que je suis un vrai melting pot de sujets d'actualités: je suis une jeune, femme, féministe, diplômée, au chômage, suisse-allemande, tunisienne, agnostique, fille d'ex-immigré illégalisé devenu suisse, née d'un mariage d'amour sans divorce et sans conversion religieuse, libre, libérée et appartenant à la génération Y.
Et vous? Qui êtes-vous? Où êtes-vous nés? À partir de combien de générations estimez-vous avoir un droit de possessivité sur une terre? Y vivez-vous pour pouvoir en décider ou votre passeport suffit? Qu'apportez-vous à votre terre? Pensez-vous être les seuls à pouvoir y apporter quelque chose? De quoi avez-vous peur exactement? Qu'est-ce qui vous dérange au juste? Et surtout: pourquoi?
La liberté de circulation sur la planète est-elle un concept à deux vitesses comme la liberté d'expression?
Quand ça arrange le fameux M. Tout-le-monde, c'est un principe fondamental et intrinsèque, mais dès que ça dérange son ego ou ses affaires les exceptions se multiplient.
-.-
Comments